Aimable Lepeu, biologiste à Dives-sur-Mer, crée dès janvier 1941 un mouvement de résistance ORIN qui regroupera plus d'une centaine de membres. Il réunit une somme très importante de renseignements sur les fortifications allemandes, mais il peine à communiquer ces informations en Angleterre.
En octobre 1943, il rejoint le réseau Zéro-France, (un réseau belge créé dans le Nord de la France en juillet 1942) et devient responsable d'un important secteur pour la Normandie.
Le secteur est organisé autour d'Aimable Lepeu et de responsables de sous-secteur : Fernand Fanneau de Villers-sur-Mer, Pierre Dupont de Cabourg, Francis Albert Marion de Varaville et Roland Spitzer de Caen. Ils ont chacun en charge un secteur entre Honfleur et la Baie des Veys. Un dernier secteur dans la Manche est confié à Marc Letousey début 1944.
Les recherches menées par l'association depuis 2023 ont récemment permis d'identifier 104 membres de Zéro-France dans le secteur de M. Lepeu. (d'après une liste déposée aux Archives Historique de la Défense à Vincennes).
La section fut démantelée au printemps 44 par la Gestapo avec de nombreuses arrestations.
Aimable Lepeu est biologiste. Sa femme est pharmacienne sur la place du Marché à Dives-sur-Mer. Né en 1899 dans la Manche, il participe aux combats de la Grande Guerre à partir d'avril 1918. En 1939, bien que père de sept enfants, il reste sur le Front jusqu'en juin 1940 avec le grade de Capitaine.
De retour à Dives, il cherche à organiser la résistance. Il se sent trop âgé pour passer en Angleterre et ne veut pas harceler l'ennemi pour ne pas provoquer de représailles. Il décide donc de se consacrer aux renseignements et la propagande.
Il recrute parmi les petits commerçants et artisans de son entourage, les professions médicales, les agents du cadastre, les employés de mairie, les agriculteurs... Son action va de Honfleur à la Baie des Veys dans la Manche.
ORIN est créé en janvier 1941. Il s'étoffera progressivement pour atteindre une centaine de membres en 1943.
Le réseau effectue la recherche de renseignements et l’observation des défenses du mur de l’Atlantique. Il favorise l’évasion des aviateurs britanniques et le maintien dans la clandestinité des jeunes qui souhaitent se soustraire au STO. Mais il peine à transmettre les renseignements recueillis vers l'Angleterre.
Zéro-France est un réseau belge de renseignements et d’évasion créé en juin 1942 par Paul Joly, dit Caviar, de Roubaix et Gérard Kaisin, officier belge parachuté par l'Intelligence Service. Le réseau s’est progressivement étendu en région parisienne, en Normandie et dans la région de Niort. Il n'a pas d’activités combattantes, mais pratique essentiellement le renseignement militaire. Il est spécialisé dans le recueil d'informations sur les sites de mise en service de V1 et V2.
C'est un réseau belge : il travaille pour les services de la Sûreté de l'Etat belge installés en Angleterre.
En mai 1943, le territoire couvert par le réseau est tel que Kaisin le divise en deux sous-réseaux, Nord et Paris. Ce deuxième secteur est organisé grâce à des contacts noués par Gérard Kaisin avec des employés de la SNCF. Kaisin prend lui-même la direction de ce sous-réseau, laissant à Joly celle du sous-réseau Nord.
Le sous-réseau Paris s'étendait sur une vaste zone délimitée au Nord par la Somme, à l'Ouest par la Manche jusqu'à Cherbourg, au Sud par les départements de la Manche, du Calvados, de l'Eure et de la Seine-et-Oise et à l'Est par ceux de la Seine-et-Marne, de la Marne et de l'Aisne. La centrale était à Paris.
En septembre 1943, un secteur est créé à Niort et Aimable Lepeu rejoint Zéro-France en octobre de la même année.
En octobre 1943, Aimable Lepeu est mis en contact avec Louis Roussel. Le réseau prend une nouvelle dimension. Lepeu a réuni une quantité de documents très importants qu'il n'a pas toujours pu faire parvenir en Angleterre.
En janvier 1944, la venue d'un opérateur radio hébergé chez différents résistants du secteur, notamment à Cabourg, chez Pierre Thieullé et Edouard Chandivert, permet au réseau de communiquer avec Londres. Il émet à partir de Varaville, de Lisieux, de Caen, mais aussi chez des agriculteurs installés dans l'arrière-pays.
Le réseau est organisé localement entre cinq responsables de sous-secteurs :
Marc Letousey dans la Manche (secteur créé en 1944)
Albert Marion de la Baie des Veys à Ouistreham
Pierre Dupont de Franceville à Dives-sur-Mer
Fernand Fanneau de Dives à Honfleur
Roland Spitzer de Caen à Lisieux
Près de deux-cents agents sont alors sous les ordres de Lepeu.
Plusieurs femmes assurent le rôle d'agents de liaison
Les informations qu’ils fournissent aux alliés sont extrêmement précieuses pour la préparation du Débarquement.
Début 1944, les résistants planifient déjà des actions de terrain pour le Jour J : faire taire les canons de Sarlabot ; guider les paras vers la batterie de Merville ; empoisonner la soupe des Allemands…
Mais, au printemps 44, tout s’effondre !
Huit agents sont arrêtés début mars avant Lepeu. Le 24 mars, Pierre Dupont est arrêté à son domicile avec sa mère. Dans la nuit, Joseph Danlos et sa femme sont conduits à Caen pour être interrogés. Le 25 mars, c'est le tour d'Aimable Lepeu. Trois agents français de la Gestapo se présentent à 8 heures du matin à son domicile et l'emmènent. Plusieurs arrestations interviennent dans les jours suivants.
En avril, une deuxième vague d'arrestations a lieu dans tout le secteur.
Trente-deux membres du groupe sont arrêtés par la Gestapo et incarcérés. Plusieurs seront brutalisés et affreusement torturés.
Vingt-cinq sont déportés vers les atroces camps de Ravensbrück, Neuengamme, Sachsenhausen ou Bergen-Belsen, ainsi qu’à l'île d'Aurigny. Douze d'entre eux n'en reviendront pas. D'autres membres qui ont pu fuir se sont cachés ou ont rejoint le maquis. Yves Lécuyer de Dives participera au Débarquement en venant en aide à des soldats alliés.
Des membres de Zéro France : (de gauche à droite) Aimable Lepeu de Dives, Léon Tardy de Grangues, les frères Marion de Varaville
JOURNAL LE PROGRES de DIVES-CABOURG-HOULGATE
Les obsèques de Pierre Dupont ont eu lieu à Cabourg le 15 décembre 1945 en présence d’une foule nombreuse estimée à 2000 personnes.
Discours de M. LEPEU
Chef de section dans l’Organisation « Zéro-France »
O Dupont ! Intrépide camarade de combat ! Malheureux compagnon de tortures ! Tu n’as connu la libération que pour te savoir sans foyer et tu ajoutes à la liste déjà si longue et si douloureuse des martyrs de ton réseau, des martyrs pour la France.
Abominable destin que le tien. Le boche t’a tout pris. Ton admirable mère qui te fût un constant secours, vaillante patriote, morte pour la France ; du moindre outil jusqu’au toit de l’atelier, la maison entièrement vidée, plus un meuble, plus un souvenir. Tes innombrables amis ne pouvaient combler un tel vide ; cependant, tu possédais cette inépuisable réserve de courage des âmes d’élites et tu regardais l’avenir en face, tu reconstruisais déjà. Hélas ! à toi qui étais à quinze jours de la mort par inanition lorsque les Russes te délivrèrent le 26 avril « ils » avaient pris aussi trop de vie.
O Dupont ! tu pars avant d’avoir reçu les remerciements de la Patrie. Toi qui, depuis longtemps, étais proposé pour la Croix de Guerre avec une citation admirable à la Division conférant l’étoile d’argent, pour la Médaille de la Résistance et un ordre élevé de Chevalerie belge, ta croix arrive aujourd’hui et tu pars sans avoir joui de cette récompense au mérite si chèrement gagnée.
Plus de cent fois je t’ai demandé ta vie pour la France ; plus de cent fois tu m’as répondu : oui, avec le même calme et la même assurance que s’il s’était agi du travail quotidien, d’un dépannage de moteur. Etait-ce bravade ? Inconscience du danger ? Non, pas inconscience du danger, car plus d’une fois je me rendis à ton intelligence éclairée et réfléchie, à ton jugement sûr et ton sens pratique nous fût trop précieux. Bravade alors ? pas davantage car notre action était toujours préméditée et l’étude faite dans les moindres détails, durait souvent des semaines. Et quand par les nuits terriblement noires, pour assurer le passage du courrier des Services de renseignements alliés, venu des quatre coins de l’Europe et de plus loin encore, il fallait traverser les champs de mines, être prêts à contacter les patrouilles allemandes, à lutter contre le flair de leurs chiens, quand on estimait à 8 ou 9 sur 10 les chances de n’en pas revenir, tu concluais simplement : « Puisque ce sont les ordres…on y va. »
(...)
En 1995, le Collège de la Divette de Cabourg a édité un livret "Zéro France - Vie et mort d'un réseau de résistance à Dives-Cabourg" - Préface de Jean Quellien.
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